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Evan, tes parents, ils ne reviendront pas ... Mais tout va bien aller d'accord ? Des gens vont s'occuper de toi ... Tu ..."
Il n'écoutait pas ce que l'on essayait de lui expliquer, il n'arrivait plus à se concentrer et pour son âge s'en était trop. Il avait encore dans la tête à l'esprit le fait que ses parents étaient partis en voilier, se faire une croisière. Il refusait irrémédiablement ce qu'on voulait lui dire, ce qu'on venait de lui dire. C'était hors de question. Comment ses parents pouvaient avoir fait naufrage ? Etre perdus dans l'océan et comment se mettre dans la tête qu'il ne les reverrait jamais ? Alors qu'il n'avait que cinq ans, ce n'était pas concevable de se voir priver de ses parents, pas comme ça, non, ils étaient toujours en balade, ils allaient revenir. La femme, une inconnue dont il n'avait pas compris le métier, celle qui lui parlait, elle disait n'importe quoi et lorsqu'elle partirait, ses parents rentreraient. Il coupa court à la discussion, il allait regarder son programme télé préféré, il n'était pas question d'entendre encore ces sottises. La femme comprit qu'il était encore un peu tôt pour tout ça puisqu'elle abandonna un temps. Juste assez pour prendre quelques affaires, ses affaires à lui, est-ce qu'ils allaient retrouver son père et sa mère sur le voilier ? Ça c'était une chouette idée, une bonne surprise même et effectivement ils quittèrent la maison ce soir-là, sans savoir qu'il n'y reviendrait plus et que malgré ses pensées, ses parents ne franchiraient jamais la porte de nouveau.
Evan Stuart vittori, fils d'un médecin et d'une infirmière, était prématurément déclaré Orphelin et commençait un long chemin pour son âge. Adieu sa petite ville du Texas, il n'avait pas d'autre famille là-bas. Stabiliser l'état psychologique et trouver une famille, une très longue route qui dura approximativement un an. Cette année déterminant sans doute une grosse part de son côté introverti et timide.
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Bonjour Evan et bienvenu ! "
Alors qu'il n'avait que six ans, il se rappelle encore aujourd'hui de la première qu'il l'avait entendu parler avec un grand sourire et cette petite phrase sans doute dictée au préalable par son père. Surement, avait-il dès ce moment-là et même à cet âge été intimidé par celle dont il tomberait bien vite amoureux et avec qui il deviendrait inséparable, Ellie. Il n'avait rien pu répondre d'ailleurs, déjà stressé par cette arrivée et la situation, il était incapable d'articuler quoi que ce soit. On lui avait parlé d'une période d'adaptation, une phase à passer pour s'habituer à un nouvel environnement, mais ce que personne n'avait pu prédire, c'est que grâce à elle, tout allait se passer très bien et très vite.
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Et bien alors Evan, on est tout seul ? Tu n'as pas ton garde du corps devant toi ? "
Bien souvent, essuyer les critiques, les moqueries, les provocations et autre remarques déplacées faisait partie du quotidien du jeune garçon, Evan Vittori, quinze ans, collégien introverti. Pourquoi aujourd'hui cela lui montait à la tête alors que d'habitude il passait outre ? Peut-être un trop plein et sans doute le fait qu'Ellie soit mêlée à sa solitude, se considérant comme une tare pour elle, dans sa tête à ce moment-là, c'était ça. En tout cas, à présent, il était bel et ben en train de bouillir intérieurement et son camarade de classe, Anton, semblait s'en contrefaire puisque, bloquant le passage d'Evan, il le fixait d'un air mauvais et le bousculait même au passage.
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Je plains cette pauvre Ellie de devoir se trimbaler un boulet comme toi en permanence, tu ne lui facilites pas la vie, vraiment. "
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Dégages ... Maintenant. "
Le regard noir d'Evan montrait qu'il perdait un peu le contrôle de ses nerfs, comme le fait qu'il veuille pousser Anton hors de son chemin, sans aucune réussite malheureusement. Lui, semblait n'avoir rien remarqué la situation, où alors, s'en amusait comme si c'était exactement ce qu'il cherchait ... plus probable. C'est à ce moment-là qu'il sentit une présence lui passer devant et repousser son camarade avant de se tourner vers lui dans un sourire. Ellie, toute remontée et à la fois attentionnée.
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Viens, on s'en va. "
Ce fut alors un terrible jeu de regard en trois dimensions. D'abord, l'homme qui leur faisait face qui en adressa un à Evan l'air de dire "regarde ce que je te disais, incapable de te débrouiller seul", puis Ellie, qui après un premier regard rassurant vers son ami, fusillait littéralement Anton sur place. Enfin et contre toute attente, Evan repoussait la main d'Ellie sur son bras qui voulait l’entraîner et ce fut l'un des seuls, peut-être même le seul de toute sa vie, regard méchant qui lui adressa, prit par la situation. à bout.
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Lâches moi Ellie, je peux me débrouiller d'accord ?!"
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Mais ..."
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Je t'ai dit de me lâcher, c'est tout."
Il ne pensait plus qu'à une chose à ce moment-là, se frayer un chemin dans le couloir et s'isoler hors de la vue d'Anton et surtout d'Ellie pour se relâcher. La pauvre, Evan allait s'en vouloir pendant les semaines qui suivraient à plus ou moins s'éviter, sans doute l'une des périodes les moins joyeuses de sa vie depuis son arrivée dans la famille.
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Evan, tu es occupé là ? J'ai vraiment besoin de toi."
Assis derrière son bureau à manger chinois d'une main, feuilletant un dossier de l'autre, qui en réalité était une revue, Evan brandissais ensuite ses baguettes comme pour se mettre sur la défensive, avec un soupire en plus face à son chef.
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Très, la pause déjeuner, c'est la base de tout !"
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Mais tu manges combien de fois par jour franchement ?"
Il fallait un temps de réflexion à Evan, avant de répondre, le plus sérieusement du monde malgré l'agacement évident de son chef.
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Je ne sais pas, j'arrête de compter après midi ... vous en voulez ? "
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Non, pas le temps ! Et puis ton estomac, il attendra, j'ai deux dossier que tu dois éplucher en trente minutes, on aura une réunion dans la foulée avec tes résultats."
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C'est une blague ? ça va refroidir ... personne n'aime le chinois froid ... Vous aimez vous ? "
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Evan tu m'exaspères ..."
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Ah donc c'était bien une blague ? Je me disais aussi ... miam "
C'était difficile de masquer son plaisir et sa satisfaction à ce petit jeu, mais le capitaine, en croisant les bras, ne se démonta pas.
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Est-ce que j'ai l'air de plaisanter ? Tu passes ton temps à dire que tout est facile et à faire tout vite, voilà l'occasion d'exposer tes talents, bon appétit."
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Quelle amabilité ... Je me sens toute chose, je me mets au travail. Quel délice de perspective."
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Bien, trente minutes vittori, trente minutes."
La mine légèrement boudeuse, Evan poussa un nouveau soupire lorsque le capitaine lui tourna le dos. Travailler pour la police, dans son domaine d'expertise, c'était passionnant, mais les officiers avaient tendance à être très, voir trop rigides, un aspect dont il fallait s'accoutumer. En réalité, il adorait ça, être mit sous pression, le devoir de bien faire et vite, ça le motivait et il parvenait toujours à obtenir la satisfaction de ses employeurs. Sans l'empêcher tout de même de jouer un peu avec eux par moment ... Cela faisait désormais trois ans qu'il était stabilisé à ce poste et jamais il n'avait eu de raté où de délais non respectés. Le fait de ne pas avoir suivi une formation de police, de ne pas être formaté comme ses collègues et d'apparaitre comme un peu à part, en civile, avait au début était un handicape. Non pas gênant pour Evan, qui aimait travailler en solo, mais surtout dans l'ambiance collective et la confiance qu'on lui accordait. Tout avait changé au fil du temps et à force de travail et de résultats, le jeune homme s'était fait un nom au sein de son service et avait finit par gagner le respect des personnes qui l'entouraient, se sentant alors faire partie de la "maison". Pourtant, ce fut avec un air de dédain qu'il commença par jeter le reste de son énième déjeuné dans la poubelle avant de se mettre au travail et comme toujours, tout serait fait à temps.
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D'un ton plus général, Evan est parvenu à s'épanouir au fil du temps passé avec sa nouvelle famille, dans de multiples endroits aussi magnifiques que touchants. Les parents d'Ellie étaient adorables avec lui, la sœur aînée de celle-ci l'était également, bien que moins présente pour poursuivre ses études en pensionnat sur le sol américain, pourtant c'est bien avec Ellie qu'il nouait sa relation la plus intense, la plus sincère, malgré le fait qu'au fur et à mesure qu'il grandissait, cela se transformait en véritable amour pour lui, alors que pour elle, rien ne bougeait. La voir connaître ses premiers petits-copains fut une véritable torture, provoquant de la tristesse qu'il intériorisait, comme le fait que lui, à côté, était incapable de s'attacher sentimentalement à une autre fille et ce n'était pas faute d'avoir essayé. Pourquoi ne lui avoir jamais rien dit ? Cela restera jusqu'à ce jour, son plus gros mystère, incapable de se l'expliquer à lui-même. Parallèlement, il a pu achever ses études qui l'ont amené tout droit vers la police de la Nouvelle-Orléans. Discret, mais efficace, effacé, mais perspicace, le job d'expert en médecine légale et analyse de trace de sang est taillé pour lui et le passionne. Pour son plaisir personnel, il a également apprit la maîtrise de cinq langues (Anglais, japonnais, russe, français et portugais) et en abuser pour dérouter les autres représente une sorte de friandise. Il habite aujourd'hui avec Ellie au French Quarter et partager un appartement seul avec elle est tout sauf facile pour lui par moment, tant l'envie d'aller vers elle est grandissante. D'un autre côté c'est facile aussi, puisqu'ils sont proches, tactiles, ont toujours vécu ensemble, s'amusent et qu'il a besoin d'au minimum sa présence dans sa vie pour s'épanouir. Dans cet appartement, les chiens et les chats sont strictement interdit, sous peine de subir la peine capitale !